Cela faisait partie des bonnes résolutions de 2025 de le mettre à l’écrit.
Voici qui est chose faite. Bonne lecture.
PARIS 2024 – Le Marathon pour Tous
Samedi 10 Août 2024 – Paris – Dernier jour de la quinzaine olympique.
06H30 le réveil sonne. Avec ma femme et ma fille, nous partons à Versailles assister aux épreuves de pentathlon moderne. Le trajet est assez long, et il faut cumuler voiture, train et bus pour diminuer celui-ci au maximum et arriver à temps. C’est une curieuse discipline que nous ne connaissions pas avant de venir. Au programme de la matinée, équitation, escrime, natation, course à pied et tir au laser. Un cocktail d’athlétisme moderne et de sports d’un autre temps à mon goût. Après tout ce que je m’apprête à vivre dans la soirée ne sera qu’une reproduction d’un événement vieux de deux-mille cinq cents ans. Le soleil nous réchauffe, et l’atmosphère est au beau fixe. Des drapeaux tricolores s’agitent dans les tribunes du fond du jardin royal. A midi, les athlètes se qualifient pour la finale qui a lieu le lendemain. A midi, nous devons rentrer, car la journée sera encore bien longue…
19h : Réveil d’une sieste, le temps de manger un dernier plat de pâtes, j’enfile ma tenue, prends mon sac à dos et c’est parti direction Paris. Le métro se remplit petit à petit de coureurs, arborant non sans discrétion leur dossard. Je descends à la station Hôtel de Ville. Une fois à l’air libre, la rue de Rivoli est fermée et il faut circuler le long de barrières pour laisser en consigne un sac que je devrais pouvoir récupérer au milieu de la nuit. Il y a déjà tellement de monde que je manque de peu de me faire faucher par un vélo. J’arrive sur le lieu des consignes face au Louvre et le sentiment d’être sur le point de vivre quelque chose d’unique commence à m’envahir. En même temps, les jeux olympiques à Paris, ce n’est qu’une fois dans une vie. En même temps, il avait fallu beaucoup s’entraîner toute l’année 2023 pour avoir cette chance d’être tiré au sort en tant que participant du marathon pour tous. Le défi est de taille, il avait été annoncé plus tôt dans la journée que le parcours, à l’identique que celui des professionnels qui l’avaient couru plutôt dans la journée, était le plus dur de l’histoire des jeux olympique. Avec pas loin de 400 m de dénivelé, donc pas vraiment un parcours roulant. 2024 jusqu’ici n’avait pas été une excellente année sur le plan personnel, et ne m’avait pas laissé le temps de le préparer aussi bien que je l’aurais voulu. Mais après tout, je m’étais toujours plus ou moins dis la même chose, ce qui ne m’avait pas empêché de franchir la barre des 4h30, un an plus tôt à Varsovie. L’objectif était donc le suivant : Le finir, et faire mieux qu’en 2019 (5h14 au Mont Saint Michel plat pour le coup celui-ci). La vue de la façade du palais du Louvre fait vite oublier cet esprit de la minute à gagner. Devant un lieu riche d’histoire, il fallait désormais écrire la mienne.
Je dépose mes affaires de rechange dans un petit sac, et garde uniquement un camelbak, avec environ 2,5L d’eau et quelques gels. La tenue du jour J est assez similaire à celle de Varsovie : T-Shirt de l’équipe de France des JO de Tokyo + short noir + une casquette blanche Paris 2024 (moins confortable qu’une noire, mais c’est de la superstition avec la chaleur du mois d’Août puisque la course se déroule uniquement de nuit). C’est l’heure de remonter les quais de seine pour se placer au SAS de départ. Ces mêmes quais qui avaient été fermés pour la cérémonie d’ouverture. Depuis le début de la journée un détachement important vis-à-vis de l’événement à venir. Ce n’est que lorsque notre SAS est sur le point de partir que la pression monte.
21h50 : Départ sous une arche gonflable montée devant l’Hôtel de Ville. La musique des JO sonne le glas du départ sur les installations de la fan zone. Dès les premières centaines de mètres, il y a une foule sur les deux côtés de la route. Je suis assez étonné, lorsque j’entends quelqu’un m’encourager par mon prénom (il était inscrit sur le dossard), car en général il y a très peu de monde sur les courses. Ici, j’ai l’impression d’être sur une course de professionnels. Rapidement je me rends compte que ça peut être problématique, car le risque de partir trop vite est décuplé par les encouragements.
Km 5 : 31minutes. C’est très raisonnable comme rythme, mais pourrais-je le tenir suffisamment longtemps ? Il fait 30 degrés, et je transpire déjà comme si j’avais couru 2 heures. Il va falloir s’hydrater constamment. A raison d’un demi-litre tous les 5km, je n’aurai même pas à m’arrêter aux ravitaillements pour l’eau. L’ambiance est excellente, on longe les tuileries et on voit au loin la Vasque illuminer le ciel.
Km 10 : 1h03. Un léger ralentissement qui ne m’inquiète pas, et qui au contraire est logique. Pour l’instant tout est plat, et il faut en garder sous le pied en vue des premières côtes. On sort de Paris par la Porte de Saint-Cloud. A l’entrée dans Boulogne, les spectateurs se font plus rares.
Km 15 : 1h34. Les premières côtes sont là, ça y est ! Et les difficultés se ressentent rapidement, avec un ralentissement progressif des coureurs, y compris moi. Mes pas sont de plus en plus petits, et l’ascension devient pénible à tel point que je me retrouve à alterner course et marche rapide en sortie d’un ravitaillement. Il n’empêche qu’en marche rapide, je parviens à maintenir le rythme d’autres coureurs, voire en doubler certains. Je termine la côte autour du Km 20, une grande statue de La Fayette nous y attend.
Km 20 : 2h12. La pente s’inverse et je peux enfin me remettre à courir. La descente me fait presque pousser des ailes, je me permets de revenir à un rythme de sortie courte d’entrainement. Par contre j’ai déjà vidé mon stock d’eau… et trop d’eau dans le corps ça nécessite une pause technique. Après un ravitaillement en eau cette fois, alors que j’arrive bientôt au Château de Versailles (pour la deuxième fois de la journée), je m’arrête pour faire la queue devant des toilettes mobiles. Sauf qu’une participante devant moi, fait un malaise et vomit juste devant la porte des toilettes. Dégouté, je repars vite en me disant qu’il y en aura d’autres. Mal m’en a pris…
Au niveau du château de Versailles, c’est le demi-tour vers Paris. Il y a de nouveau des spectateurs et une ambiance qui me fait presque oublier mon envie d’aller aux toilettes. Sauf que les kilomètres passent, et les toilettes ne viennent pas. Même si on est plutôt en descente, j’ai déjà beaucoup ralenti et commence une petite torture mentale de ne pas pouvoir répondre à cette envie pressante, parce que les 25 bornes commencent à faire leur effet…
Km 25 : 2h48 – Après 20 minutes d’attente interminable, j’arrive enfin sur des toilettes.
Impossible de m’arrêter avant, il y a des barrières partout. Certaines cabines étaient condamnées.
L’enfer s’arrête, quelle libération ! La reprise est même agréable, même si les douleurs d’estomac ne sont pas complètement parties. J’essaie de manger du quatre quarts au ravitaillement. Mon corps n’arrive pas à l’avaler. Je le mâche longtemps comme un chewing-gum, ça me fait une sensation bizarre. Je n’avais jamais eu de difficulté pour m’alimenter sur toutes mes courses précédentes. Il faudra faire avec. Les jambes commencent aussi à être lourdes, et c’est sans surprise que je me mets à marcher à partir de 3h de course, environ au Km 27. Pourtant la prochaine côte arrive juste derrière et pas des moindres, c’est la côte des gardes. Une cote d’un kilomètre de long, mythique pour les cyclistes parisiens avec une pente qui atteint plus de 10% par endroits. Et moi qui marche avant la côte, c’est décevant. Mais il faut s’accrocher, il faut aller au bout. Ce n’est certainement pas ici que je vais m’arrêter, à 1h du matin loin de chez moi, et à 15km de la ligne d’arrivée. C’est quand le mental est mis à rude épreuve que les encouragements sont les plus importants. Une personne sur le bord de la route m’envoie des bonnes ondes, et c’est exactement à ce moment là que je retrouve des forces, je crois que le moment de solitude est derrière moi. Une nouvelle pente vient casser les jambes, mais ce n’est rien après ce qui arrive. En sortie de virage, on commence à voir au loin la route qui s’incline sérieusement. La fameuse côte des Gardes vient de faire son apparition. La route s’élève comme un mur et on voit au pied des anneaux lumineux multicolores au loin symbolisant les anneaux olympiques. J’avais eu le temps d’oublier que la course était associée aux JO. C’est le moment où je décide de lutter contre le corps qui voudrait marcher. Je poursuis mon effort de course sur le côté de la route où je dépasse beaucoup de personnes qui marchent sous les anneaux lumineux. Ça ne dure peut-être que 200 mètres avant de se remettre à marcher, mais qu’est ce que c’est satisfaisant. Dans la côte on nous crie « Vous avez déjà fait mieux que Kipchoge ! », l’athlète kenyan avait abandonné plus tôt dans la journée au même endroit. Ce ne sera visiblement pas le cas de tout le monde, un homme est allongé sur le côté de la route et a dû faire un malaise. Ce n’est pas le premier. Les secours arrivent rapidement dans le sens opposé. Par contre je perds une personne dont je suis le rythme depuis assez longtemps, qui décide de s’arrêter pour lui porter assistance. Elle portait son dossard dans le dos, ce qui faisait que j’avais lu son prénom, le même que celui de ma fille, et cela m’encourageait à garder son rythme. Je termine la côte en marchant activement comme tout le monde autour.
Km 30 : 3h31 – Fin de la côte des Gardes, je peux reprendre mon effort de course sans trop de difficulté. Le plat ne dure pas longtemps avant d’entamer la descente vers Meudon. Je ne fais plus tellement attention au temps passé et j’essaie de rester concentré sur les sensations qui sont redevenues assez correctes dans la descente. Celle-ci est assez longue et dure près de 3km, je n’ai plus envie de marcher. Dans un virage, je vois au loin la tour Eiffel. Paris n’est plus très loin, mais il reste encore une dizaine de kilomètres quand j’arrive sur les quais de seine vers Issy-les-Moulineaux.
Il y a par endroit encore un peu de soutien, et cela fait vraiment du bien. Même si mentalement, je reconnais que je suis dépassé par la difficulté à courir, et je dois marcher et courir alternativement.
Le record personnel ne sera définitivement pas pour aujourd’hui, mais peu importe, il faut aller chercher la ligne d’arrivée.
Km 35 : 4h11 – J’arrive sur une partie qui n’est pas éclairée. Il fait sombre, et je me suis refroidi en alternant course et marche. Cette fois, je dois bien reconnaître que la motivation est au plus bas. Je ne pense plus vraiment au temps que je ferai à l’arrivée. Je dois vraiment lutter avec moi-même pour continuer. Une partie de moi voudrait que cela s’arrête tout simplement. J’essaie de la faire taire en m’accrochant à ce que je peux. Je vois peu de personnes marcher, et je me fais globalement rattraper par les autres coureurs qui me dépassent de plus en plus. Ils en ont encore dans les jambes, tant mieux pour eux. Au moins, on finira tous au même endroit. Il faut finir. Il faut finir. Il faut finir, et pour cela, je ne m’arrêterai pas avant la fin. On entre dans Paris en passant sous le Boulevard Périphérique et le Pont du Garigliano. Et la lumière revient peu à peu. La musique aussi, c’est celle de la cérémonie d’ouverture. On passe dans un tunnel avec des rétroprojecteurs qui rappellent justement la cérémonie d’ouverture qui envoie des jets de lumières très forts. La musique est limite assourdissante. J’apprécie quand même cet effort de l’organisation de nous faire sentir partie intégrante des jeux olympiques. Le clin d’œil à la cérémonie d’ouverture fait chaud au cœur. En sortant du tunnel, la tour Eiffel apparaît. Et elle n’est plus si loin, peut être deux kilomètres. Mais ce n’est pas l’arrivée qui sera aux Invalides.
Km 40 : 4h56 –
J’arrive péniblement au pied de la tour Eiffel. Beaucoup de monde nous attend au virage quittant ainsi les quais de Seine. La foule. La fougue. Je reprends un rythme de course beaucoup plus important, et je décide de que je ne marcherai plus jusqu’à la fin. C’est que 2 kilomètres. Aller un dernier effort, et ça va le faire. Je me sens renaître. Ma foulée est tout à fait correcte, après 45 minutes ou j’ai alterné entre foulée lente et besoin de détendre les jambes. Le feu est là. La tête est bonne. Les jambes sont bonnes. On passe devant l’Ecole Militaire. Un demi-tour s’opère et je sens que je suis dans le dernier kilomètre. Je ne donne pas tout encore, mais ça sent bon la fin. Je sors de mon sac à dos le drapeau bleu-blanc-rouge que j’avais pris avec moi le matin pour le pentathlon moderne, mais le fait tomber par terre. Je m’arrête pour le reprendre et drape mes épaules avec. Je vois devant moi un autre coureur qui fait la même chose avec le drapeau grec, celui de la terre d’origine des jeux. Dans les derniers 200 mètres, je sprinte de toutes mes forces. Mais satisfait d’avoir fini en 5h12. Il est alors 3h du matin. Je suis épuisé. J’ai donné tout ce que je pouvais, et je ne regrette rien. Même si c’est très loin du record personnel de 4h28. C’est mieux de 2 minutes que le premier marathon de 2019, avec un dénivelé plus important et de nuit. Quelque part j’ai réussi mon marathon, car je suis arrivé au bout. Et c’est bien là l’essentiel. La médaille est autour du cou. Le rêve olympique n’est plus un rêve, c’est désormais une aventure accomplie. Je peux rentrer chez moi, fier et avec de nouvelles histoires à raconter.
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Je ne sais pas comment tu as fait pour noter tout ces passages, j'ai l'impression de voir ta course !
Tu as fait, tu es arrivé au bout du marathon olympique de Paris, pendant les JO et sur le même parcours, tout mon respect
Merci pour le partage. 😉
J'avais lu bcp de bien de ce marathon pour tous.